Italie – Votre clause d’élection de for est-elle applicable?

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En droit italien, les parties à un contrat – toutes deux étant des personnes morales privées – sont généralement libres de convenir du tribunal compétent pour connaître des litiges pouvant découler de ce contrat.

Toutefois, bien que de telles clauses soient valables, leur applicabilité peut être limitée par certaines exigences formelles, dont il faut tenir compte.

Curieusement, ces exigences sont souvent plus strictes lorsque les deux parties sont basées en Italie, et plus souples lorsque l’une d’entre elles est basée à l’étranger, en particulier dans un autre pays de l’UE.

Néanmoins, compte tenu des incertitudes actuelles de la jurisprudence, une approche prudente dans la rédaction des contrats est justifiée dans tous les cas.

Exclusif ou non exclusif forum?

Considérons par exemple la clause suivante dans un contrat commercial entre deux sociétés privées : « Tribunal compétent – Les tribunaux de Milan seront le forum compétent pour tout litige ».

Cette clause ne soulève apparemment aucun doute. Cependant, elle a récemment été jugée inapplicable par la Cour suprême italienne (« Corte di Cassazione »), notamment du point de vue de sa non-exclusivité ( Section civile de la Cour suprême (Cass. Civ. Sez.) VI-3, ordonnance 25.1.2018 n. 1838).

Dans cette affaire, une société italienne a fait signer à l’autre partie (une autre société italienne) ses conditions générales de contrat contenant la clause susmentionnée. Nonobstant cela, la première société s’est ensuite vu signifier une injonction de payer ( » decreto ingiuntivo « ) émise par le tribunal de Sienne, où la seconde société avait entamé des poursuites malgré l’approbation de la clause de for.

La première société n’a pas réussi à s’opposer à l’injonction de payer en invoquant l’incompétence du tribunal de Sienne. En effet, elle n’a pas pu faire valoir la clause attributive de juridiction incluse dans ses conditions générales de contrat, car la clause ne précisait pas que les tribunaux de Milan étaient le for « exclusif ».

Par conséquent, de l’avis de notre Cour suprême (qui confirme en fait sa propre jurisprudence antérieure), pour que cette clause puisse être appliquée comme souhaité, elle aurait dû être libellée comme suit : « Les tribunaux de Milan seront le forum exclusivement compétent pour tout litige ».

Il convient toutefois de noter que les mêmes conditions générales du contrat, si elles avaient été signées par une société établie dans un autre pays de l’UE que l’Italie (par exemple, la France), auraient pu empêcher avec succès la société française d’engager une action en justice en France, même si la clause de for ne précisait pas son exclusivité.

En effet, l’article 25 du règlement UE n°1215/2012 stipule expressément que la clause de « prorogation de compétence » « est exclusive, sauf si les parties en ont convenu autrement ».

Ceci a été confirmé par la Cour suprême d’Italie également (voir par exemple la décision n°3624 du 8.3.2012).

Maintenant, que se passe-t-il si le partenaire contractuel de la société milanaise est une société basée dans un pays non membre de l’UE et non lié par les traités internationaux en la matière ? Par exemple, une société américaine?

La clause « Les tribunaux de Milan seront le forum compétent pour tout litige » serait-elle considérée comme exclusive ou non, du point de vue d’un tribunal italien?

L’article 6 du règlement 1215/2012 devrait conduire le tribunal italien à interpréter cette clause comme exclusive en vertu de l’article 25 du même règlement. Toutefois, dans des cas similaires dans le passé, les tribunaux italiens ont considéré de telles clauses comme non exclusives en appliquant les règles internes de droit international privé (art. 4 de la loi 218/95) et en les interprétant conformément à l’article 29, deuxième alinéa, du code de procédure civile (voir par exemple Tribunale de Milan, 11.12.1997). Par conséquent, dans le cas décrit ci-dessus, si la société américaine, malgré la clause susmentionnée, entame une action en justice dans son pays, la décision rendue aux États-Unis peut être reconnue en Italie.

La Convention de La Haye du 30.6.2005 sur les accords d’élection de for devrait résoudre les problèmes ci-dessus et d’autres, car elle stipule (tout comme le règlement européen) que le forum choisi est exclusif sauf accord exprès contraire. Cependant, cette convention n’est pour l’instant en vigueur que dans un nombre très limité de pays (Union européenne, Mexique, Singapour).

Dans une situation aussi incertaine, si l’on souhaite que le forum choisi soit exclusif, quel que soit le lieu où l’autre partie est établie, l’approche la plus prudente en droit italien est certainement de spécifier l’exclusivité dans la clause.

 « Approbation spéciale » des clauses abusives (art. 1341 du code civil)

Une autre condition préalable à l’applicabilité des clauses d’élection de for en droit italien est l’exigence d’une « approbation spéciale » de ces clauses, si elles sont incluses dans les clauses contractuelles générales. En vertu de l’article 1341, deuxième alinéa, du code civil, certains types de clauses « abusives » figurant dans les clauses contractuelles générales sont inapplicables à moins d’être « spécialement approuvées » par écrit.  Ces « clauses abusives » comprennent également les clauses d’arbitrage et d’élection de for, si elles sont favorables à la partie qui rédige les clauses contractuelles générales.

Selon la jurisprudence constante de notre Cour suprême, cette « approbation spéciale » se fait en pratique par l’apposition d’une seconde signature sur le contrat, qui doit être autonome et séparée de la signature qui est normalement apposée pour approuver le contrat dans son intégralité.  De plus, cette seconde approbation doit faire expressément référence à chaque clause abusive, en citant le numéro et l’intitulé de chacune de ces clauses.

Toutefois, l’exigence d’approbation spéciale pour les clauses d’élection de for ne s’applique qu’aux contrats entre parties italiennes, et non aux contrats internationaux.

En particulier, chaque fois que le règlement européen 1215/2012 s’applique, les exigences formelles moins strictes énoncées par l’article art. 25 doivent être respectées, même lorsque la clause attributive de juridiction fait partie des conditions générales du contrat. Dans ce cas, il est nécessaire et suffisant que le contrat signé par les parties comporte une référence expresse aux conditions générales contenant la clause de for (voir par exemple Cass. Sez. Un. 6.4.2017 n.8895). En cas de conditions générales de vente dans un contrat conclu voie électronique, une clause d’élection de for (toujours en vertu du règlement de l’UE) peut être valablement acceptée par un  » clic  » (voir la décision de la CJUE n.322 du 21.5.2015).

Même en appliquant les règles internes italiennes en matière de droit international privé (article 4, loi 218/95) – c’est-à-dire, essentiellement, dans les matières impliquant des parties non UE (ou non EEE/AELE) – la condition d' »approbation spéciale » n’est pas requise pour les clauses d’élection de for, parce que cette exigence n’est pas expressément prévue par l’article 4, et aussi par voie d’interprétation (Cour constitutionnelle 18/10/2000, n. 428).

Nonobstant ce qui précède, il n’a pas encore été définitivement clarifié si l’exigence d’une « approbation spéciale » selon l’article 1341 du Code civil devrait également s’appliquer aux contrats internationaux (s’ils sont régis par les lois italiennes) comme condition pour l’application des autres clauses que la disposition légale considère comme « abusives », comme par exemple les clauses de limitation ou d’exclusion de responsabilité.

Par conséquent, il est encore très courant en Italie de rédiger des clauses contractuelles générales, également pour les contrats internationaux, prévoyant la seconde signature de l’autre partie pour l’approbation spéciale des clauses abusives.

Tout cela, en espérant que la jurisprudence italienne développe à l’avenir une approche plus moderne et internationale.

Christian Montana
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