Comment conclure un contrat avec des influenceurs en France

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Devant l’importance du marché de l’influence (plus de 21 milliards d’euros en 2023) qui touche aujourd’hui tous les secteurs, et dans un souci de transparence et de protection des consommateurs, la France a, avec la loi du 9 juin 2023, proposé la première réglementation au monde encadrant les activités des influenceurs, avec pour objectif de définir et de réguler les activités des influenceurs sur les réseaux sociaux.

Mais les influenceurs sont soumis à de multiples obligations résultant de diverses sources qui appellent à la vigilance la plus grande, tant lors la rédaction des contrats d’influence (entre influenceurs et agences, ou entre influenceurs et annonceurs), que dans le comportement qu’ils doivent adopter sur les réseaux sociaux ou sur les plateformes en ligne. Une vigilance d’autant plus accrue que les réglementations existantes ne couvrent pas le cœur de l’activité des influenceurs, à savoir leur statut et leur rémunération, qui restent soumises à un flou juridique mettant en risque les annonceurs, alors que les contrôles des autorités administratives s’intensifient.

Points clés à retenir

  • L’activité des influenceurs est soumise à de nombreuses réglementations, dont la loi du 9 juin 2023.
  • Cette loi n’encadre pas seulement la rédaction des contrats d’influence, mais également le comportement de l’influenceur en vue d’une meilleure transparence auprès des consommateurs.
  • Tout influenceur dont l’audience est française est concerné par les dispositions du de la loi du 9 juin 2023, même s’il n’est pas présent physiquement sur le territoire français.
  • Tant la loi du 9 juin 2023, que le « Digital Services Act », que le projet de loi sur la « fast fashion » prévoient une responsabilité croissante des différents acteurs du secteur de l’influence commerciale, et notamment des influenceurs et des plateformes en ligne.
  • Malgré une accumulation de réglementations, le statut et la rémunération de l’influenceur restent des points non traités qui appellent à une attention particulière des annonceurs qui contractualisent avec des influenceurs.

 

La loi du 9 juin 2023 encadrant l’activité d’influenceur  

La définition des métiers de l’influence

La loi du 9 juin 2023 apporte deux définitions essentielles aux activités de l’influence:

  • Les influenceurs, définis comme des « personnes physiques ou morales qui, à titre onéreux, mobilisent leur notoriété auprès de leur audience pour communiquer au public, par voie électronique, des contenus visant à faire la promotion, directement ou indirectement, de biens, de services ou d’une cause quelconque exercent l’activité d’influence commerciale par voie électronique ».
  • L’activité d’agent d’influenceur est définie comme « celle qui consiste à représenter, à titre onéreux », l’influenceur ou un éventuel mandataire « dans le but de promouvoir, à titre onéreux, des biens, des services ou une cause quelconque » (article 7). L’agent d’influenceur doit prendre « les mesures nécessaires pour garantir la défense des intérêts des personnes qu’ils représentent, pour éviter les situations de conflit d’intérêts et pour garantir la conformité de leur activité » à la loi du 9 juin 2023.

Les obligations auxquelles sont soumis les messages commerciaux créés par l’influenceur

La loi prévoit des obligations auxquelles sont soumis les influenceurs dans le cadre de leurs publications:

  • Mentions obligatoires: Lors de la création de contenu, la loi soumet l’influenceur à une obligation d’information vis-à-vis du consommateur, dans un objectif de transparence vis-à-vis de leur audience. La loi contraint ainsi les influenceurs à indiquer, de manière claire, lisible et identifiable sur l’image ou sur la vidéo de l’influenceur, quel que soit son format et durant l’intégralité du visionnage (selon modalités à définir par décret):
    – la mention « publicité » ou « collaboration commerciale ». La violation de cette obligation constitue une pratique commerciale trompeuse passible de deux d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende (article 5 de la loi du 9 juin 2023).
    – la mention d’« images retouchées» (modification par procédés de traitement d’image visant à affiner ou épaissir la silhouette ou à modifier l’apparence du visage)  ou d’ « images virtuelles » (images créées par une intelligence artificielle). A défaut, l’influenceur s’expose à une peine d’un an d’emprisonnement et à 4.500 euros d’amende (article 5 de la loi du 9 juin 2023)
  • Promotions interdites ou réglementées : La loi rappelle certaines interdictions soumises à sanctions pénales et administratives, issues du droit français sur la promotion directe ou indirecte de certaines catégories de produits et services, sous peine de sanctions pénales ou administratives. Est ainsi concernée la promotion de produits et services:
    – de santé: chirurgie, médecine esthétique, prescriptions thérapeutiques, et produits de nicotine;
    – liés aux animaux non-domestiques, sauf si elle concerne un établissement autorisé à les détenir;
    – financiers: les contrats, produits et services financiers;
    – liés au sport : les abonnements à des conseils ou à des pronostics sportifs;
    – liés aux cryptoactifs : s’ils ne sont pas issus d’acteurs enregistrés ou n’ont pas reçu d’agrément de l’AMF;
    – de jeux d’argent et de hasard : leur promotion interdite pour les moins de 18 ans, et est réglementée par la loi;
    de formation professionnelle : leur promotion n’est pas interdite mais réglementée.

La responsabilisation du comportement des influenceurs

La loi responsabilise également les influenceurs dès la contractualisation de leurs relations et lorsqu’ils agissent en tant que vendeurs :

  • Encadrement des contrats d’influence commerciale : la loi impose, à peine de nullité, à partir d’un certain seuil de rémunération de l’influenceur (défini par décret), la formalisation par écrit du contrat entre l’annonceur et l’influenceur, mais aussi le cas échéant, entre l’agent de l’influenceur, et la stipulation obligatoire de certaines clauses (rémunération, description de la mission, etc.).
  • Responsabilité de l’influenceur en tant que cybervendeur : L’influenceur qui pratique le drop shipping (commercialisation de produits par l’influenceur sans prise en charge leur livraison, réalisée par le fournisseur) doit fournir à l’acheteur toutes les informations en langue française prévues par l’article L. 221-5 code de la consommation sur le produit, telles que, outre sa disponibilité et sa licéité (c’est-à-dire, la garantie que le produit n’est pas contrefaisant), la garantie applicable aux produits et l’identité du fournisseur. Mais en sus, les influenceurs devront garantir la bonne livraison et réception des produits, et en cas de défaut, indemniser l’acheteur. Les influenceurs sont enfin (logiquement) soumis aux obligations relatives aux pratiques commerciales trompeuses (pour plus d’information, voir La DGCCRF explique le dropshipping).

  

La responsabilisation d’autres acteurs de l’écosystème de l’influence commerciale

La loi prévoit la responsabilité solidaire de l’annonceur, l’influenceur ou le cas échéant, de l’agent d’influenceur pour les dommages causés aux tiers dans l’exécution du contrat d’influence commerciale – permettant à la victime du dommage d’exercer son action à l’encontre de la personne la plus solvable.

En outre, la loi introduit une responsabilisation des plateformes en ligne en intégrant en partie le règlement européen 2022/2065 sur les services numériques (dit « DSA ») du 19 octobre 2022.

 

La règlementation de l’influenceur international

Les influenceurs établis en dehors de l’Union Européenne (de la Suisse et de l’EEE) qui promeuvent des produits ou services à destination d’un public français doivent souscrire, auprès d’un assureur établi dans l’Union européenne, une assurance responsabilité professionnelle et désigner une personne morale ou physique assurant « une forme de représentation » (SIC) sur le territoire de l’Union Européenne. Ce représentant (dont le régime n’est pas très clair) est rémunéré pour représenter l’influenceur auprès des autorités administratives et judiciaires et pour assurer la conformité de l’activité de l’influenceur à la loi du 9 juin 2023.

En outre, selon la loi du 9 juin 2023, lorsque le contrat liant l’influenceur (ou son agence), a pour objet ou pour effet de mettre en œuvre une activité d’influence commerciale par voie électronique « visant notamment un public établi sur le territoire français » (SIC), ce contrat devrait être soumis – exclusivement – au droit français (notamment au code de la consommation, au code de la propriété intellectuelle et à la loi du 9 06 23). Selon cette loi, l’absence d’une telle stipulation serait sanctionnée par la nullité du contrat. La loi du 9 juin 2023 semble être ainsi érigée en loi de police de nature à écarter le choix d’une loi étrangère.

Mais la légitimité (quid du respect de la définition de loi de police posée par le règlement Rome I ?) et l’efficacité (quid si le contrat stipule une loi étrangère et une compétence juridictionnelle étrangère ?) d’une telle disposition légale peuvent être questionnées notamment en raison de sa rédaction imprécise et générale. En fait, ce serait plus l’activité déployée par l’influenceur « étranger » auprès de sa communauté en France qui devrait être appréhendée par les lois de police françaises, et moins le contenu du contrat conclu avec l’annonceur (qui lui-même pourrait aussi être étranger, d’ailleurs).

 

Les autres réglementations encadrant l’activité d’influenceurs

La réglementation européenne

Le DSA (susvisé) responsabilise davantage les influenceurs, car outre le mécanisme de signalement imposé aux plateformes et permettant de signaler un contenu illicite (et ainsi de repérer un influenceur défaillant), les plateformes doivent s’assurer (et feront donc peser cette responsabilité sur l’influenceur) de l’identification des communications commerciales et d’obligations de transparence spécifiques à l’égard des consommateurs.

La «soft law»

Dès 2015, l’Autorité de Régulation de la Publicité (« ARPP ») avait émis des recommandations sur les bonnes pratiques en matière de publicité digitale. Dans la même veine, en mars 2023, le ministère de l’Économie a publié un « guide de bonne conduite » à l’attention des influenceurs et des créateurs de contenu. En 2023, la Commission européenne a lancé une plateforme d’informations juridiques pour les influenceurs. Bien que non contraignantes, ces règles, qui s’ajoutent aux réglementations existantes, sont des repères tant pour les acteurs des métiers de l’influence, que pour les juridictions et autorités administratives.

Le statut particulier de l’enfant influenceur

 La loi du 19 octobre 2020, visant à encadrer l’exploitation commerciale de l’image d’enfants sur les plateformes en ligne, ouvre notamment la possibilité pour les enfants influenceurs d’être reconnus en tant que travailleurs salariés. Cette loi ne visait néanmoins que les plateformes de partage de vidéos. L’article 2 de la loi du 9 juin 2023 a étendu les dispositions sur le travail des enfants influenceurs introduites par la loi de 2020 à toutes les plateformes en ligne. Enfin, une récente loi visant à garantir le respect du droit à l’image des enfants a été publiée le 19 février 2024, a introduit un principe de responsabilité conjointe des deux parents dans la protection du droit à l’image du mineur.

Le statut et la rémunération des influenceurs: l’incertitude persiste

Malgré la diversité des réglementations applicables aux influenceurs, aucune ne traite spécialement de leur statut et de leur rémunération.

Le statut de l’influenceur

A défaut de réglementation encadrant le statut de l’influenceur, un flou juridique persiste consistant à déterminer, selon les missions qui sont contractuellement confiées à l’influenceur, si ce dernier doit être considéré comme un prestataire indépendant, ou comme un salarié (comme c’est le cas pour – pour partie- les mannequins ou les artistes), voire comme un mandataire de la marque (agent commercial).

Des missions qui sont confiées à l’influenceur découlent en effet la nature du contrat et le régime de sécurité sociale applicable :

  • En cas de contrat de travail, l’influenceur devra relever du régime général des salariés et assimilés sur le fondement des articles L. 311-2 ou 311-3 du Code de sécurité sociale.
  • En cas de contrat de prestation de service, l’influenceur relèvera du régime des travailleurs indépendants.

 

C’est généralement de l’existence d’un lien de subordination entre l’annonceur et l’influenceur qui induit la qualification de contrat de travail. La relation de subordination est généralement caractérisée lorsque l’employeur donne des ordres et des directives, qu’il a le pouvoir de contrôler et de sanctionner. Mais certaines activités sont soumises (pour partie) à une présomption de contrat de travail ; c’est le cas du contrat d’artiste en vertu de l’article L. 7121-3 du Code du travail, et du contrat de mannequin en vertu de l’article L. 7123-2 du Code du travail.

 

La rémunération de l’influenceur

L’influenceur peut être rémunéré en numéraire (forfaitaire ou proportionnelle) et/ou en nature (par exemple: remise d’un produit de la marque, invitations à des évènements privés ou publics, prises en charge de frais de voyage etc.). La rémunération de l’influenceur doit être indiquée dans le contrat d’influence et est directement impactée par le statut de l’influenceur puisque certaines obligations (salaire minimum ; paiement de charges sociales…) s’appliquent s’agissant du contrat de travail.

Enfin, la rémunération (au titre des services de l’influenceur) doit être distinguée de celle de la cession de ses droits d’auteur ou de son droit à l’image faisant l’objet d’une rémunération distincte en contrepartie des droits d’exploitation cédés.

L’influenceur … en ligne de mire

 

La loi du 9 juin 2023 dote la DGCCRF de nouveaux pouvoirs d’injonction (avec astreinte renforcée). Cela vient en sus de la création récente d’une « brigade de l’influence commerciale », créée au sein de la DGCCRF, et chargée de surveiller les réseaux sociaux et de répondre aux signalements reçus sur Signal Conso. La loi prévoit des peines d’amendes et la possibilité de bloquer des contenus.

 

Dès août 2023, la DGCCRF a mis en demeure plusieurs influenceurs de se conformer aux nouvelles règlementations en vigueur sur l’influence commerciale et leur a imposé de publier sur leurs propres réseaux sociaux un message dévoilant publiquement leur condamnation pour absence de conformité aux nouvelles dispositions relatives à la transparence due aux consommateurs, lourde sanction pour des acteurs dont l’activité repose sur la notoriété (Enquête de la DGCCRF sur les pratiques commerciales des influenceurs).

La Commission européenne et les autorités nationales de protection des consommateurs de 22 États membres, de la Norvège et de l’Islande ont publié, le 14 février 2024, les résultats d’une analyse menée sur 570 influenceurs (opération dite « coup de balai » de 2023 sur les influenceurs) : un seul influenceur sur cinq présentait systématiquement son contenu commercial comme étant de la publicité.

Face aux préoccupations écologiques, éthiques et qualitatives liées à la « fast fashion », une proposition de loi visant à interdire la publicité pour les marques de fast fashion, en ce compris la publicité effectuée par les influenceurs (Proposition de loi visant à réduire l’impact environnemental de l’industrie textile) a été adoptée par l’Assemblée nationale en 1ère lecture le 14 mars 2024.

La loi du 9 juin 2023 a fait l’objet de critiques de la Commission européenne, considérant que la loi contreviendrait à certains principes prévus par le droit de l’Union européenne, notamment le principe du « pays d’origine » selon lequel l’entreprise qui fournit un service dans d’autres pays de l’Union européenne est soumise exclusivement au droit de son pays d’établissement (principe initialement prévu par la Directive e-commerce du 8 juin 2000 et repris dans le DSA). Certaines de ses dispositions, notamment celles concernant l’application de la loi française à des influenceurs étrangers, pourraient donc faire l’objet de modifications prochaines – bienvenues.

Christophe Hery
  • Agence
  • Antitrust
  • Arbitrage
  • Distribution
  • e-commerce

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